Notes du huitième entretien.

Note I.

Les livres mêmes des protestants présentent plusieurs témoignages favorables à ce dogme. Je ne me refuserai point le plaisir d'en citer un des plus frappants, et que je n'irai point exhumer d'un in-fol. Dans les Mélanges extraits des papiers de madame Necker, l'éditeur, M. Necker, rappelle au sujet de la mort de son incomparable épouse ce mot d'une femme de compagnie: « Si celle-là n'est pas reçue en paradis, nous sommes tous perdus. » Et il ajoute: Ah! sans doute elle y est dans ce séjour céleste; ELLE Y EST OU ELLE Y SERA, et son crédit y recevra ses amis! (Observations de l'éditeur, tom. I, p. 13.)

On conviendra que ce texte exhale une assez forte odeur de Catholicisme, tant sur le purgatoire que sur le culte des saints; et l'on ne saurait, je crois, citer une protestation plus naturelle et plus spontanée du bon sens contre les préjugés de sectes et d'éducation.

Note II.

Le docteur Beattie, en parlant du VIe livre de l'Énéide, dit qu'on y trouve une théorie sublime des récompenses et des châtiments de l'autre vie, théorie prise probablement des Pythagoriciens et des Platoniciens, qui la devaient eux-mêmes à une ancienne tradition. Il ajoute que ce système, quoique imparfait, s'accorde avec les espérances et les craintes de l'homme, et avec leurs notions naturelles du vice et de la vertu, ASSEZ pour rendre le récit du poète intéressant et pathétique à l'excès. (On Truth, part. III, ch. II, in-8, p. 221, 223.)

Le docteur, en sa qualité de protestant, ne se permet pas de parler plus clair; on voit cependant combien sa raison s'accommodait d'un système qui renfermait surtout LUGENTES CAMPOS. Le Protestantisme, qui s'est trompé sur tout, comme il le reconnaîtra bientôt, ne s'est jamais trompé d'une manière plus anti-logique et plus anti-divine que sur l'article du purgatoire.

Les Grecs appelaient le morts les souffrants. (##Oi kekmekotes, oi kamontes.) Clarke, sur le 278e vers du IIIe livre de l'Iliade, et Ernesti dans son Lexique, (in ##KAMNO) prétendent que cette expression est exactement synonyme du latin vita functus; ce qui ne peut être vrai, ce me semble, surtout à l'égard de la seconde forme ##kamontes, le vers d'Homère où se trouve cette expression remarquable indiquant, sans le moindre doute, la vie et la souffrance actuelles.

    ##Kai potamoi, kai gaia, kai oi upenerthe KAMONTAS
    Anthropous tennusthon,
(Hom., Iliad., III, 278.)

Note III.

Mallebranche, après avoir exposé cette belle démonstration de l'existence de Dieu par l'idée que nous en avons, avec toute la force, toute la clarté, toute l'élégance imaginables, ajoute ces mots bien dignes de lui et bien dignes de nos plus sages méditations: Mais, dit-il, il est assez inutile de proposer au commun des hommes de ces démonstrations que l'on peut appeler personnelles (Mallebr., Rech. de la Ver., liv. II, chap XI.) Que toute personne donc pour qui cette démonstration est faite s'écrie de tout son coeur: Je vous remercie de n'être pas comme un de ceux-là. Ici la prière du pharisien est permise et même ordonnée, pourvu qu'en la prononçant, le personne ne pense pas du tout à ses talents, et n'éprouve pas le plus léger mouvement de haine contre ceux-là.

Note IV.

Un de ces fous désespérés, remarquable par je ne sais quel orgueil aigre, immodéré, repoussant, qui donnerait à tout lecteur l'envie d'aller battre l'auteur, s'il était vivant, s'est particulièrement distingué par le parti qu'il a tiré de ce grand sophisme. Il nous a présenté une théorie des fins qui embrasserait les ouvrages de l'art et ceux de la nature (un soulier, par exemple, et une planète), et qui proposerait des règles d'analyse pour découvrir les vues d'un agent par l'inspection de son ouvrage. On vient, par exemple, d'inventer le métier à bas: vous êtes tenu de découvrir par voie d'analyse les vues de l'artiste, et tant que vous n'avez pas deviné qu'il s'agit du bas de soie, il n'y a point de fin, et, par conséquent, point d'artiste. Cette théorie est destinée à remplacer les ouvrages où elle est faiblement traitée; car la plupart des ouvrages écrits jusqu'à présent sur les causes finales, renferment des principes si hasardés, si vagues, des observations si puériles et si décousues, des réflexions si triviales et si déclamatoires, qu'on ne doit pas être surpris qu'ils aient dégoûté tant de personnes de ces sortes de lectures. Il se garde bien, au reste, de nommer les auteurs de ces ouvrages si puérils, si déclamatoires, etc., car il aurait fallu nommer tout ce qu'on a jamais vu de plus grand, de plus religieux et de plus aimable dans le monde, c'est-à-dire, tout ce qui lui ressemblait le moins.

Denis Constales - dcons@world.std.com - http://world.std.com/~dcons/