Notes du neuvième entretien.
Ce livre fut traduit en français sous ce titre: Vue de
l'évidence de la Religion chrétienne,
considérée en elle-même, par M. Jennings.
Paris, 1764, in-12. Le traducteur, M. Le Tourneur, se permit de
mutiler et d'altérer l'ouvrage sans en avertir, ce qu'il
ne faut, je crois, jamais faire. On lira avec plus de fruit la
traduction de l'abbé de Feller avec des notes.
Liège, 1779, in-12. Elle est inférieure du
côté du style, mais ce n'est pas de quoi il s'agit.
Celle de Le Tourneur est remarquable par cette épigraphe,
faite pour le siècle: Vous me persuaderiez PRESQUE
d'être Chrétien. (Act., XXVI, 29.)
Rien n'est si vrai: il suffit de citer les lettres de saint
François Xavier. Il écrivait de Malaca, le 20 juin
1549: « Je pars (pour le Japon) moi troisième, avec
Cosme, Turiani et Jean Fernand: nous sommes accompagnés
de trois Chrétiens japonais, sujets d'une rare
probité... Les japonais viennent fort à propos
d'envoyer des ambassadeurs au vice-roi des Indes, pour en
obtenir des prêtres qui puissent les instruire dans la
religion chrétienne. » Et le 3 novembre de la
même années, il écrivait de Congoximo au
Japon, où il était arrivé le 5 août:
« Deux bonzes et d'autres Japonais, en grand nombre, s'en
vont à Goa pour s'y instruire dans la foi. » (S.
Franc. Xav. Ind. ap., Epistolae, Wratisl., 1754, in-12,
pages 160 et 208.)
Voy. les Pensées de Pascal. Paris, Reynouard,
1803, 2 vol. in-8o, tom. II, pag. 328. - Il y a dans ce passage
de Voltaire autant de bévues que de mots. Car sans parler
du continuellement, qui est tout à fait ridicule,
parler d'aimer Dieu n'est point du tout demander
à Dieu la grâce de l'aimer; et c'est ce que
Pascal a dit. Ensuite Marc-Aurèle et
Épictète n'étaient pas des religions.
Pascal n'a point dit (ce qu'il aurait pu dire cependant): Aucun
homme hors de notre religion n'a demandé, etc. Il a
dit, ce qui est fort différent: Aucune autre religion
que la nôtre, etc. Qu'importe que tel ou tel homme ait
pu dire quelques mots mal prononcés sur l'amour de
Dieu? Il ne s'agit pas d'en parler, il s'agit de l'avoir;
il s'agit même de l'inspirer aux autres, et de l'inspirer
en vertu d'une institution générale, à
portée de tous les esprits. Or, voilà ce qu'a fait
le Christianisme, et voilà ce que jamais la philosophie
n'a fait, ne fera ni ne peut faire. On ne saurait assez le
répéter: elle ne peut rien sur le coeur de
l'homme. - Circum praecordia ludit. Elle se joue autour
du coeur; jamais elle n'entre.
« Que sont, dit-il, dans son épître LXXVIII,
que sont les maladies les plus cruelles comparées aux
flammes, aux chevalets, aux lames rougies, à ces plaies
faites par un raffinement de cruauté sur de membres
déjà enflammés par des plaies
précédentes? Et cependant, au milieu de ces
supplices, un homme a pu ne pas laisser échapper un
soupir; il a pu ne pas supplier: ce n'est pas assez; il a pu ne
pas répondre: ce n'est point assez encore; il a pu rire,
et même de bon coeur. » Et ailleurs: « Quoi
donc, si le fer, après avoir menacé la tête
de l'homme intrépide, creuse, découpe l'une
après l'autre toutes les parties de son corps; si on lui
fait contempler ses entrailles dans son propre sein; si, pour
aiguiser la douleur, on interrompt son supplice pour le
reprendre bientôt après; si l'on déchire
ses plaies cicatrisées pour en faire jaillir de nouveau
sang, n'éprouvera-t-il ni la crainte ni la douleur?
Il souffrira sans doute, car nul degré de courage ne peut
éteindre le sentiment; mais il n'a peur de rien: il
regarde d'en haut ses propres souffrances. » (Epît.,
LXXXV.)
De qui donc voulait parler Sénèque? Y a-t-il
avant les martyrs des exemples de tant d'atrocité d'une
part et de tant d'intrépidité de l'autre?
Sénèque avait vu les martyrs de Néron;
Lactance, qui voyait seul Dioclétien, a décrit
leurs souffrances, et l'on a les plus fortes raisons de croire
qu'en écrivant, il avait en vue les passages de
Sénèque qu'on vient de lire. Ces deux phrases
surtout sont remarquables par leur rapprochement.
Si ex intervallo, quo magis tormenta sentiat, repetitur et
per siccata viscera recens dimittitur sanguis. (Sen., Ep.
LXXXV.)
Nihil aliud devitant quam ut ne torti moriantur... curam
tortis diligenter adhibent ut ad alios cruciatus membra
renoventur et reparetus novus sanguis poenam. (Lact., liv.
Justit., lib. V, cap. II, de Justitia.)
Chez les Hébreux, et sans doute aussi chez d'autres
nations orientales, l'homme, qui déplorait la perte d'un
objet chéri ou quelque autre grand malheur, se tenait
assis; et voilà pourquoi siéger et pleurer
sont si souvent synonymes dans l'Écriture Sainte. Ce
passage des Psaumes, par exemple (totalement
dénaturé dans nos malheureuses traductions): Surgite
postquam sederitis, qui manducatis panem doloris (Ps.,
CXXVI, 6) signifie: « Consolez-vous, après avoir
pleuré, ô vous qui mangez le pain de la
douleur! » Une foule d'autres textes attestent la
même coutume, qui n'était point
étrangère aux Romains. Mais lorsque Ovide dit, en
parlant de Lucrèce:
. . . . Passis SEDET illa capillis,
Ut solit ad nati mater itura rogum.
(Fast. II, 813-814.), il n'entend sûrement pas
décrire l'attitude ordinaire d'une femme assise; et
lorsque les enfants d'Israël venaient s'asseoir dans le
temple pour y pleurer leurs crimes ou leurs malheurs (Jud.,
XX, 26, etc.) ils n'étaient pas sûrement assis
commodément sur des sièges. Il paraît
certain que, dans ces circonstances, on était assis
à terre et accroupi; et c'est à cette attitude
d'un homme assis sur ses jambes que Plutarque fait allusion par
l'expression qu'il emploie et qui ne peut être rendue
facilement dans notre langue. Assise ignoble serait
l'expression propre, si le mot d'assise n'avait pas
perdu, comme celui de session, sa signification
primitive.
Il faut cependant observer, pour l'exactitude, qu'une
différence de ponctuation peut altérer la phrase
de Plutarque, de manière que l'épithète
d'ignoble tomberait sur le mot de prosternation, au lieu
d'affecter celui d'accroupissement. Le traducteur latin s'est
déterminé pour le sens adopté de
mémoire par l'interlocuteur. L'observation principale
demeure au reste dans toute sa force. (Note de
l'éditeur.)
Je crois qu'on ne sera pas fâché de lire ici les
vers de Rutilius:
Atque utinam nunquam Judea subacta fuisset
Pompei bellis imperioque Titi!
Latius excisae pestis contagia serpunt,
Victoresque suos natio victa premit.
C'est-à-dire: « Plût aux dieux que la
Judée n'eût jamais succombé sous les armes
de Pompée et de Titus! Les venins qu'elle communique
s'étendent plus au loin par la conquête, et la
nation vaincue avilit ses vainqueurs. » Il semble en effet
que ces paroles, dites surtout dans le Ve siècle, ne
sauraient désigner que les Chrétiens, et c'est
ainsi que les a entendues le docte Huet dans sa Démonstration
évangélique. (Prop. III, §21.) Cependant un
très habile interprête de l'Écriture sainte,
et qui nous l'a expliquée avec un luxe d'érudition
qui s'approche quelquefois de l'ostentation, embrasse le
sentiment contraire, et croit que, dans le passage de Rutilius,
il s'agit uniquement des Juifs. (Dissertazioni e lezioni di
S. Scrittura del P. Nicolaï di della compagnia di
Gesù. Firenze, 1756, in-4o, tom. I, Dissert. prim.) Voy.
pag 138. Tant il est difficile
de voir clair sur ce point, et de discerner exactement les deux
religions dans les écrits des auteurs païens!
Il la connaissait si bien, qu'il en a marqué le principal
caractère dans un ouvrage que nous n'avons plus, mais
dont saint Augustin nous a conservé ce fragment.
« Il y a, dit Sénèque, parmi les Juifs, des
hommes qui savent les raisons de leurs mystères, mais la
foule ignore pourquoi elle fait ce qu'elle fait. » (Sen.
apud St. Aug., Civ. Dei, VII, II.) Origène est
plus détaillé et plus exprès. Y a-t-il
rien de plus beau, dit-il, que de voir les Juifs
instruits dès le berceau de l'immortalité de
l'âme et des peines et des récompenses de l'autre
vie? Les choses n'étaient cependant
représentées que sous une enveloppe mythologique
aux enfants et aux HOMMES-ENFANTS. Mais pour ceux qui
cherchaient la parole et qui voulaient en pénétrer
les mystères, cette mythologie était, s'il m'est
permis de m'exprimer ainsi, métamorphosée en
vérité. (Orig., adv. Cels., lib. V, no
42, pag. 610, col. 2, Litt. D.) Ce qu'il dit ailleurs n'est pas
moins remarquable: La doctrine des Chrétiens sur la
résurrection des morts, sur le jugement de Dieu, sur les
peines et les récompenses de l'autre vie, n'est point
nouvelle: ce sont les anciens dogmes du Judaïsme. (Ibid.,
lib. II, nos 1, 4.)
Eusèbe, cité par le célèbre Huet,
tient absolument le même langage. Il dit en propres
termes: « Que la multitude avait été
assujettie chez les Hébreux à la lettre de la loi
et aux pratiques minutieuses, dépourvues de toute
explication; mais que les esprits élevés,
affranchis de cette servitude, avaient été
dirigés vers l'étude d'une certaine philosophie
divine, fort au-dessus du vulgaire, et vers
l'interprétation des sens allégoriques. » (Huet,
Démonstr. évang., tom. II, Prop. IX, chap.
171, no 8.)
Cette tradition (ou réception) est la
véritable et respectable Cabale, dont la moderne n'est
qu'une fille illégitime et contrefaite.
Je ne sache pas que Newton ait parlé du calendrier des
Hébreux dans sa chronologie; mais il en dit un mot en
passant dans ce livre, dont on peut dire à bon droit: beaucoup
en ont parlé, mais peu l'ont bien connu; c'est dans
le Commentaire sur l'Apocalypse, où il dit laconiquement
(mais c'est un oracle): Judaei usi non sunt vitioso cyclo.
(Isaaci Newtoni ad Dan. proph. vatic. nec non, etc., opus
posthumum. Trad. lat. de Sunderman, Amst., 1737, in-4o, cap. II,
pag. 113.) Scaliger, excellent juge dans ce genre, décide
qu'il n'y a rien de plus exact, rien de plus parfait que
le calcul de l'année judaïque; il renvoie même
les calculateurs modernes à l'école des Juifs, et
leur conseille sans façon de s'instruire à
cette école ou de se taire. (Scaliger, de Emend.
temp., lib. VIII. Genève, 1629, in-fol. pag. 656.)
Ailleurs il nous dit: haec sunt ingeniosissima, etc. ...
methodum hujus computi lunaris argutissimam et elegantissimam
esse nemo harum rerum paulo paritus inficiabitur. (Ibid.,
lib. VII, pag. 640.) (Note de l'éditeur.)
Quelque estime qu'on doive à ce rabbin justement
célèbre (Moïse Maïmonide), je
voudrais cependant, sur le fait particulier des archives
d'Ecbatane, rechercher les autorités sur lesquelles il
s'est appuyé; ce que je ne suis point à même
de faire dans ce moment. Quant à l'immense
établissement des Juifs au-delà de l'Euphrate,
où ils formaient réellement une puissance, il n'y
a pas le moindre doute sur ce fait. (Voy. l'Ambassade
de Philon, inter opera graec. et lat., Genève, 1613,
in-fol., pag. 792, litt. B.)
Cunaeus a dit en effet (Lib. I, c. IV, pag. 26. Elz. 1632):
« tanta eruditione ac scientia hominem, uti prae illo
omnes Graeci qui aderant trunci et stipites esse viderentur. »
Mais cet auteur, quoique d'ailleurs savant et exact, s'est
permis ici une légère hyperbole, s'il n'a pas
été trompé par sa mémoire. Aristote
vante ce Juif comme un homme aimable, hospitalier, vertueux, chaste
surtout, savant et éloquent. Il ajoute, qu'il y
avait beaucoup à apprendre en sa conversation; mais
il ne fait aucune comparaison humiliante pour les Grecs. Je ne
sais donc où Cunaeus a pris ses trunci et ses stipites.
L'interlocuteur au reste paraît ignorer que ce n'est point
Aristote qui parle ici, mais bien Cléarque, son disciple,
qui fait parler Aristote dans un dialogue de la composition du
premier. (Voy. le fragment de Cléarque dans le
livre de Josèphe contre Appion, Liv. I, chap. VIII, trad.
d'Arnaud d'Andilly.)
Il y avait longtemps avant les Septante une traduction grecque
d'une partie de la Bible. (Voyez la préface qui
est à la tête de la Bible de Beyerling. Anvers, 3
vol. in-fol. - Fréret, Défense de la
Chronologie, pag. 264; Leçons de l'histoire,
tom. I, pag. 616. Baltus, Défenses des Pères,
etc. Chap. XX, Paris, in-4o, 1711, pag. 614 et suiv.)
On pourrait même à cet égard se dispenser
de preuves; car la traduction officielle ordonnée
par Ptolémée suppose nécessairement que le
livre était, je ne dis pas connu, mais célèbre.
En effet, on ne peut désirer ce qu'on ne connaît
pas. Quel prince a jamais pu ordonner la traduction d'un
livre, et d'un tel livre, sans y être
déterminé par un désir universel,
fondé à son tour sur un grand intérêt
excité par ce livre?
« Judaei mente sola unumque numen intelligunt, summum
illud et aeternum, neque mutabile, neque interiturum. »
C'est ce même homme qui nous dira du même
culte et dans le même chapitre: mos absurdus
sordidusque. (Ann., V, 3.) Rendre justice à ce
qu'on hait est un tour de force presque toujours au-dessus des
plus grands esprits.
On sera bien aise peut-être de lire, d'après
Philon, le détail de certaines circonstances
extrêmement intéressantes, touchées
rapidement dans un dialogue dont la mémoire fait tous les
frais. Philon, parlant à un prince tel que Caligula, et
lui citant les actes et les opinions de la famille
impériale, n'était sûrement pas tenté
de mentir ni même d'exagérer.
« Agrippa, dit-il, votre aïeul maternel,
étant allé à Jérusalem, sous le
règne d'Hérode, fut enchanté de la religion
des Juifs, et ne pouvait plus s'en taire... L'empereur Auguste
ordonna que, de ses propres revenus et selon les formes
légitimes, on offrirait chaque jour, AU DIEU TRES-HAUT,
sur l'autel de Jérusalem, un taureau et deux agneaux en
holocauste, quoiqu'il sût très bien que le temple
ne refermait aucun simulacre, ni public ni caché; mais ce
grand prince, que personne ne surpassait en esprit
philosophique, sentait bien la nécessité qu'il
existât dans ce monde un autel dédié
à Dieu invisible, et qu'à ce Dieu tous les hommes
pussent adresser leurs voeux pour en obtenir la communication
d'un heureux espoir et la jouissance des biens parfaits...
Julie, votre bisaïeule, fit de magnifiques
présents au temple en vases et en coupes d'or, et quoique
l'esprit de la femme se détache difficilement des images,
et ne puisse concevoir des choses absolument
étrangères aux sens, Julie cependant, aussi
supérieure à son sexe par l'instruction que par
les autres avantages de la nature, arriva au point de contempler
les choses intelligibles préférablement aux
sensibles, et de savoir que celles-ci ne sont que les ombres des
premières. » N.B. Par ce nom de Julie, il
faut entendre Livie, femme d'Auguste, qui avait
passé, par l'adoption, dans la famille des Jules, et qui
était en effet bisaïeule de Caligula.
Ailleurs, et dans le même discours à ce terrible
Caligula, Philon lui dit expressément: Que l'empereur
Auguste n'admirait pas seulement, mais qu'il ADORAIT
cette coutume de n'employer aucune image pour représenter
matériellement une nature invisible. ##Ethaumaze kai
prosekunei, k. t. l. (Philonis leg. ad Caium inter Opp.
colon. Allobrog., 1613, in-fol., pag. 799 et 803.)
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- Sommaire des Soirées de
Saint-Pétersbourg, par le comte Joseph de Maistre.
Denis Constales - dcons@world.std.com
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