Notes du septième entretien.

Note I.

« Si l'on vous disait que tous les chats d'un grand pays se sont assemblés par milliers dans une plaine, et qu'après avoir miaulé tout leur saoul, ils se sont jetés avec fureur les uns sur les autres, et ont joué ensemble de la dent et de la griffe; que de cette mêlée il est demeuré de part et d'autre neuf a dix mille chats sur la place, qui ont infecté l'air à dix lieues de là par leur puanteur, ne diriez-vous pas: « Voilà le plus abominable sabbat dont on ait jamais entendu parler? » et si les loups en faisaient de même, quels hurlements! quelle boucherie! et si les uns et les autres vous disaient qu'ils aiment la gloire, ne ririez-vous pas de tout votre coeur de l'ingénuité de ces pauvres bêtes? »

Note II.

Lycurgue prit des Égyptiens son idée de séparer les gens de guerre du reste des citoyens, et de mettre à part les marchands, artisans et gens de métier; au moyen de quoi il établit une chose publique véritablement noble, nette et gentille. (Plut. in Lyc., chap. VI de la traduction d'Amyot.)

Et parmi nous encore, une famille qui n'a jamais porté les armes, quelque mérite qu'elle ait acquis d'ailleurs dans toutes les fonctions civiles les plus honorables, ne sera jamais véritablement noble, nette et gentille. Toujours il lui manquera quelque chose.

Note III.

L'erreur, pendant tout le dernier siècle, fut une espèce de religion que les philosophes professèrent et prêchèrent hautement comme les apôtres avaient professé et prêché la vérité. Ce n'est pas que ces philosophes aient jamais été de bonne foi: c'est au contraire ce qui leur a toujours et visiblement manqué. Cependant ils étaient convenus, comme les anciens augures, de ne jamais rire en se regardant, et ils mettaient, aussi bien que la chose est possible, l'audace à la place de la persuasion. Voici un passage de Montesquieu bien propre à faire sentir la force de cet esprit général qui commandait à tous les écrivains.

Les lois de la nature, dit-il, sont celles qui dérivent uniquement de la constitution de notre être; pour les connaître bien, il faut considérer un homme avant l'établissement des sociétés: les lois de la nature seraient celles qu'il recevrait dans un état pareil. (Espr. des lois, liv. II.)

Ainsi les lois naturelles, pour l'animal politique et religieux (comme a dit Aristote), dérivent d'un état antérieur à toute association civile et religieuse! je suis, toutes les fois qu'il ne s'agit pas de style, admirateur assez tranquille de Montesquieu; cependant, jamais je ne me persuaderai qu'il ait écrit sérieusement ce qu'on vient de lire. Je crois tout simplement qu'il récitait son Crédo, comme tant d'autres, du bout des lèvres, pour être fêté par les frères, et peut-être aussi pour ne pas se brouiller avec les inquisiteurs, car ceux de l'erreur ne badinaient pas de son temps.

Note IV.

« Je vous ai parlé du lieutenant de la compagnie des grenadiers qui fut tué. Vous ne serez peut-être pas fâché de savoir qu'on lui trouva un cilice sur le corps. Il était d'une piété singulière, et avait même fait ses dévotions le jour d'auparavant. On dit que, dans cette compagnie, il y a des gens fort réglés. Pour moi je n'entends guère de messes dans le camp qui ne soit suivie par quelques mousquetaires, et où il n'y ait quelqu'un qui communie de la manière du monde la plus édifiante. » (Racine à Boileau, au camp devant Namur, 1692. OEuvres, édit. de Geoffroi, Paris, 1808, tom. VII, pag. 275.)

Note V.

« J'ai été affligé de ce que vous ne serviez pas; mais c'est un dessein de pure miséricorde pour vous détacher du monde et pour vous ramener à une vie de pure foi, qui est une mort sans relâche. » (OEuvres spirit. de Fénélon, in-12, tom. IV, Lettre CLXIX, pag. 171, 172.)

Note VI.

« Il ne faut pas vous rendre singulier; ainsi vous ne faites pas une affaire de perdre quelquefois la messe les jours ouvriers, surtout à l'armée. Tout ce qui est de votre état est ordre de Dieu pour vous. » (OEuvres de madame Guyon, tom. XXXIV; tom. XI des Lettres chrétiennes et spirit., lettre XVIe, pag. 54, Londres, 1768, in-12.)

Note VII.

Mascaron a dit dans l'oraison funèbre de Turenne, au commencement de la première partie: « Presque tous les peuples de la terre, quelque différents d'humeur et d'inclination qu'ils aient pu être, sont convenus en ce point d'attacher le premier degré de la gloire à la profession des armes. Cependant si ce sentiment n'était appuyé que sur l'opinion des hommes, on pourrait le regarder comme une erreur qui a fasciné tous les esprits. Mais quelque chose de plus réel et de plus solide me détermine là-dessus; et si nous sommes trompés dans la noble idée que nous nous formons de la gloire des conquérants, grand Dieu! j'ose presque dire que c'est vous qui nous avez trompés. Le plus auguste des titres que Dieu se donne à lui-même, n'est-ce pas celui de DIEU DES ARMÉES? etc., etc. »

Mais qui n'admirerait la sagesse d'Homère, qui faisait dire à son Jupiter, il y a près de trois mille ans: Ah! que les hommes accusent les dieux injustement! Ils disent que les maux leurs viennent de nous, tandis que c'est uniquement par leurs crimes qu'ils se rendent malheureux plus qu'ils ne devraient l'être. - Disons-nous mieux? Je prie qu'on fasse attention à l'##uper moron. (Odyss., 1, 32.)

Note VIII.

Isaïe, XXVI, 21. Gen. IV, 11. Dans la tragédie grecque d'Oreste, Apollon déclare: « Qu'il ne faut point s'en prendre à Hélène de la guerre de Troie, qui a coûté si cher aux Grecs; que la beauté de cette femme ne fut que le moyen dont les dieux se servirent pour allumer la guerre entre deux peuples, et faire couler le sang qui devait purifier la terre, souillée par le débordement de tous les crimes. » (Mot à mot, pour POMPER les souillures.) Eurip., Orest. V, 1677-80.

Peu d'auteurs anciens se montrent plus versés qu'Euripide dans tous les dogmes de la théologie antique. Il a parlé comme Isaïe, et Mahomet a parlé comme l'un et l'autre: Si Dieu, dit-il, n'élevait pas nation contre nation, la terre serait entièrement corrompue. (Alcoran, cité par le chev. Will. Jones; hist. de Thomas-Kouli-Khan. Works, in-4o, tom. V, pag. 8.) Fas est ab hoste doceri.

Note IX.

Voici ce qu'écrivait Bolingbroke au sujet de la guerre terminée par la paix de Nimègue, en 1679: « La misérable conduite de l'Autriche, la pauvreté de quelques princes de l'empire, la désunion et, pour parler clair, la politique mercenaire de tous ces princes; en un mot les vues étroites, les fausses notions, et, pour m'exprimer encore aussi franchement sur ma nation que sur les autres, la scélératesse du cabinet anglais, n'empêchèrent pas seulement qu'on ne mît des bornes à cette puissance, mais l'élevèrent à une force presque insurmontable à toute coalition future. » (Bolingbroke's letters on the study and use of history, Bâle, 1788, in-8o, Lettre VIII, pag. 184.)

En écrivant ces lignes, Bolingbroke se doutait peu qu'en un clin d'oeil les Hollandais fouleraient aux pieds Louis XIV à Gertruidenberg, et qu'ils seraient le noeud d'une coalition formidable qui serait brisée à son tour par une puissance de second ordre: Un gant et un verre d'eau.

Note X.

L'empereur Arnoulf faisait le siège de Rome: un lièvre qui s'était jeté dans le camp de ce prince s'échappa en courant du côté de la ville; les soldats le poursuivant avec de grands cris, les assiégés, qui se crurent au moment d'un assaut général, perdirent la tête et prirent la fuite, ou se précipitèrent du haut des remparts. Arnoulf, profitant de cette terreur panique, s'empara de la ville. (Luitpr., hist., liv. I, chap. 8.) Muratori ne croit pas trop à ce fait, quoiqu'il nous ait été conté par un auteur contemporain. (Muratori Ann. d'Ital. ad ann. DCCCXCVI, in-4o, tom. V, pag. 215.) Je le crois cependant aussi certain que celui des oies.

Note XI.

    Illuc testiculi sibi conscius unde fugit mus
    . . . . . . . . ubi velari pictura jubetur
    Quaecumque alterius sexus imitata figuram est.
(Juven., Sat. VI, 338, 341.)

Note XII.

      Pour chanter ici tes louanges
    Notre zèle, seigneur, a devancé le jour;
    Fais qu'ainsi nous chantions un jour avec les anges
    Le bien qu'à tes élus réserve ton amour.
    
      Lève-toi, soleil adorable,
    Qui de l'éternité ne fais qu'un heureux jour;
    Fais briller à nos yeux ta clarté secourable,
    Et répands dans nos coeurs le feu de ton amour.
    
      Fuyez, songes, troupe menteuse,
    Dangereux ennemis par la nuit enfantés;
    Et que fuie avec vous la mémoire honteuse
    Des objets qu'à nos sens vous aviez présentés.
    
      Que ce jour se passe sans crime,
    Que nos langues, nos mains, nos yeux soient innocents;
    Que tout soit chaste en nous, et qu'un frein légitime
    Au joug de la raison asservisse nos sens...
    
      Chantons l'auteur de la lumière
    Jusqu'au jour où son ordre a marqué notre fin;
    Et qu'en le bénissant notre aurore dernière
    Se perde en un midi sans soir et sans matin, etc., etc.
(Voyez les hymnes du Bréviaire romain, traduites par Racine, dans les oeuvres mêlées de ce grand poète.) Celui qui voudra sans vocation essayer quelque chose dans ce genre, en apparence si simple et si facile, apprendra deux choses en jetant la plume: ce que c'est que la prière, et ce que c'est que le talent de Racine.

Note XIII.

Rien n'est plus vrai que cette sensation. Voy. les Lettres américaines de Carli-Rubi, in-8o, tom. I, lettres 4, 5, 6, 9.

Au Pérou, le sacrifice consistait dans le Cancu ou pain consacré, et dans l'Aca, ou liqueur sacrée, dont les prêtres et les Incas buvaient une portion après la cérémonie. (Ibid., l. 9.)

« Les Mexicains formaient une image de leur idole en pâte de maïs qu'ils faisaient cuire comme un pain. Après l'avoir portée en procession et rapportée dans le temple, le prêtre la rompait et la distribuait aux assistants. Chacun mangeait son morceau, et se croyait sanctifié après avoir mangé son Dieu. » (Raynal, Hist. phil. et pol., etc., liv. VI.) Carli a tort de citer ce trait sans le moindre signe de désapprobation. (Ibid., l. 9.) On peut observer ici en passant que les mécréants du dernier siècle, Voltaire, Hume, Frédéric II, Raynal, etc., se sont extrêmement amusés à nous faire dire: Que nous mangeons notre Dieu après l'avoir fait; qu'une oublie devient Dieu; etc. Ils ont trouvé un moyen infaillible de nous rendre ridicules, c'est de nous prêter leurs propres pensées; mais cette proposition, le pain est Dieu, tombe d'elle-même par sa propre absurdité. (Bossuet, Hist. de variat., II, 3.) Ainsi tous les bouffons possibles sont bien les maître de battre l'air tant qu'ils voudront.

Note XIV.

Hippocrate dit dans ce traité: Que tout homme qui juge bien des signes donnés par les songes en sentira l'extrême importance; et il décide ensuite d'une manière plus générale que la mémoire de l'interlocuteur ne lui rappelait: Que l'intelligence des songes est une grande partie de la sagesse. ##Ostis oun epistatai krinein tauta ortoos mego meron epistatai sophies. (Hipp. de Somn., pp. Edit Van der Linden. Tom. I, cap. 2, in fin. p. 635.) Je ne connais aucun autre texte d'Hippocrate qui se rapporte plus directement au sujet. (Note de l'éditeur.)

Note XV.

On lit en effet ceci dans les tablettes de ce grand personnage: Les dieux ont la bonté de donner aux hommes, par les songes et par les oracles, les secours dont ils ont besoin. Une grande marque du soin des dieux pour moi, c'est que, dans mes songes, ils m'ont enseigné des remèdes pour mes maux, particulièrement pour mes vertiges et mon crachement de sang, comme il m'arriva à Gaëte et à Chryse. (Pensées de Marc-Aurèle, liv. I, in fin.; liv. IX, §27.)

Denis Constales - dcons@world.std.com - http://world.std.com/~dcons/