Notes du dixième entretien.
Il est impossible de savoir quels textes l'interlocuteur avait
en vue, ni même s'il s'en rappelait quelques-uns bien
distinctement. Je ne puis citer sur ce point que deux passages;
l'un de Clément d'Alexandrie, l'autre de saint Jean
Chrysostome. Le premier dit (Pedag., lib. III, ch. XI):
Qu'il n'y a rien de plus criminel que de faire servir au vice
un signe mystique de sa nature.
Le second est moins laconique. « Il a été
donné, dit-il, pour allumer dans nous le feu de la
charité, afin que de cette manière nous nous
aimions comme des frères, comme des pères et des
enfants s'aiment entre eux... Ainsi les âmes s'avancent
l'une vers l'autre pour s'unir... Mais je ne puis ajouter
d'autres choses sur ce sujet... Vous m'entendez, vous qui
êtes admis aux mystères... Et vous, qui osez
prononcer des paroles outrageantes ou obscènes, songez
quelle bouche vous profanez, et tremblez... Quand l'apôtre
disait aux fidèles: Saluez-vous par le saint baiser...
c'était pour unir et confondre leurs âmes. »
Per oscula inter se copulavit. (D. Joan. Chrysost. in II,
ad Cor. epist. comm. hom. XXX, inter opp. cura Bern. de
Montfaucon. Paris, 1732, tom. X, pag. 650-651.)
On peut encore citer Pline le naturaliste. « Il y a,
dit-il, je ne sais quelle religion attachée à
certaines parties du corps. Le revers de la main, par exemple,
se présente au baiser... mais si nous appliquons le
baiser aux yeux, nous semblons pénétrer
jusqu'à l'âme et la toucher. »
Inest et aliis partibus quaedam religio: sicut dextra
osculis aversa appetitur... hos (oculos) cum osculamur, animum
ipsum videmur attingere. (C. Plin. Sec. Hist. nat. curia
Harduini. Paris, 1685; in-4o, tom. II, §§54, 103, pages 547,
595.) (Note de l'éditeur.)
Recherche de la vérité, in-4o.
Au reste, ce système de la vision en Dieu est
clairement exprimé par saint Thomas, qui aurait
été, quatre siècles plus tard, Mallebranche
ou Bossuet, et peut-être l'un et l'autre. « Videntes
Deum, omnia simul vident in ipso: Ceux qui voient Dieu
voient en même temps tout en lui. » (S. Thom., adv.
gent., Lib. III, cap. LIX.) Puisqu'ils vivent dans le sein
de celui qui remplit tout, qui contient tout et qui entend
tout. (Eccli. I, 7.) Saint Augustin s'en approche encore
infiniment lorsqu'il appelle Dieu avec tant
d'élégance et non moins de justesse, SINUM
COGITATIONES MEAE; le centre générateur de mes
pensées. (Confess., liv. XIII, 11.) Le P.
Berthier a dit, en suivant les mêmes idées:
« Toutes les créatures, l'ouvrage de vos mains,
quoique très distinguées de vous, puisqu'elles
sont finies, sont toujours en vous, et vous êtes toujours
en elles. Le ciel et la terre ne vous contiennent pas, puisque
vous êtes infini; mais vous les contenez dans votre
immensité. Vous êtes le lieu de tout ce qui
existe, et vous n'êtes que dans vous-même. »
(Réflex. spirit., tom. III, pag. 28.) Ce
système est nécessairement vrai de quelque
manière; quant aux conclusions qu'on en voudra tirer, ce
n'est point ici le lieu de s'en occuper.
« Tous les hommes doivent donc croître ensemble pour
ne faire qu'un seul corps par le Christ, qui en est la
tête. Car nous ne sommes tous que les membres de ce corps
unique qui se forme et s'édifie par la
charité, et ces membres reçoivent de leur chef
l'esprit, la vie et l'accroissement, par le moyen des jointures
et des communications qui les unissent, et suivant la mesure qui
est propre à chacun d'eux. » (Eph., IV, 15,
16.)
Et cette grande unité est si fort le but de toute
l'action divine par rapport à nous, « que celui
qui accomplit tout en tous ne se trouvera lui-même
accompli que lorsqu'elle sera accomplie. » (Ibid.,
I, 23.)
Et alors, c'est-à-dire à la fin des choses, Dieu
sera tout en tous. (I Cor., XV, 28.)
C'est ainsi que saint Paul commentait son maître; et
Origène, commentant saint Paul à son tour, se
demande ce que signifient ces paroles: Dieu sera tout en
tous; et il répond: « Je crois qu'elles
signifient que Dieu sera aussi tout dans chacun,
c'est-à-dire que chaque substance intelligente,
étant parfaitement purifiée, toutes ses
pensées seront Dieu; elle ne pourra voir et
comprendre que Dieu; elle possédera Dieu, et Dieu sera le
principe et la mesure de tous les mouvements de cette
intelligence: aussi Dieu sera tout en tous; car la
distinction du mal et du bien disparaîtra, puisque Dieu,
en qui le mal ne peut résider, sera tout en tous;
ainsi la fin des choses nous ramènera au point dont nous
étions partis..., lorsque la mort et le mal seront
détruits; alors Dieu sera véritablement TOUT EN
TOUS. » (Origène, au livre des Principes,
liv. III, ch. VI.)
On pourrait citer plusieurs passages dans ce sens; un seul de
saint Augustin peut suffire: « Mes frères, disait-il
dans l'un de ses sermons, si vous êtes le corps et les
membres du Sauveur, c'est votre propre mystère que vous
recevez. Lorsqu'on prononce: Voilà le corps de J.-C.,
vous répondez: Amen: vous répondez ainsi
à ce que vous êtes (ad id quod estis respondetis),
et cette réponse est une confession de foi...
Écoutons l'Apôtre qui nous dit: Étant
plusieurs, nous ne sommes cependant qu'un seul pain et qu'un
seul corps. (I Cor., X, 17.) Rappelez-vous que le
pain ne se fait pas d'un seul grain, mais de plusieurs.
L'exorcisme, qui précède le baptême, vous
broya sous la meule: l'eau du baptême vous fit
fermenter, et lorsque vous reçûtes le feu du
saint-Esprit, vous fûtes pour ainsi dire cuits par
ce feu... Il en est de même du vin. Rappelez-vous, mes
frères, comment on le fait. Plusieurs grains pendent
à la grappe; mais la liqueur exprimée de ces
grains est une confusion dans l'unité. Ainsi le Seigneur
J.C. a consacré dans sa table le mystère de paix
et de notre unité. » (Saint Augustin, Serm. inter
opp. ult. edit. Ben. Paris, 1683; 14 vol. in-fol., tom. V, part
I, 1105, col. p. 2, litt. D, E, F.)
##EIS TO ME OUK PHAINOMENON TA BLEPOMENA GEENGOMAI. (Heb.
XI, 5.) La Vulgate a traduit: Ut ex invisibilibus visibilia
fierent. - Érasme dans sa traduction
dédiée à Léon X: Ut ex his quae
non apparebant ea quae videntur fierent. - Le Gros: Tout
ce qui est visible est formé d'une manière
ténébreuse. - La version de Mons: Tout ce
qui est visible a été formé, n'y ayant rien
auparavant que d'invisible. - Sacy comme la traduction de
Mons. (Il y travailla avec Arnaud, etc.) - La traduction
protestante d'Osterwald: De sorte que les choses qui se
voient n'ont pas été faites des choses qui
apparaissent. - Celle de David Martin, in-fol.
Genève, 1707 (Bible Synodale): En sorte que les choses
qui se voient n'ont point été faites de
choses qui parussent. - La traduction anglaise, reçue
par l'église anglicane: So that things which are seen
were not made of things which do appear. - La traduction
esclavonne, dont on ignore l'auteur, mais qui est fort ancienne,
puisqu'on l'a attribuée, quoique faussement, à
saint Jérôme: Vo ege ot neyavliaemich vidimym
byti (ce qui revient absolument de la Vulgate). La
traduction allemande de Luther: Dass alles was man siehet aus
nichts worden ist.
Saint Jean Chrysostome a entendu ce texte comme la Vulgate,
dont le sens est seulement un peu développé dans
le dialogue. ##Ek me phainomenon ta blepomena gegone.
(Chrys. Hom. XXII, in epist. ad Hebr. cap. XI.)
Je crois devoir observer en passant, croyant la chose assez
connue, que cette fameuse expérience de Hales sur les
plantes, qui n'enlèvent pas le moindre poids à la
terre qui les nourrit, se trouve mot à mot dans un livre
appelé: Actus Petri, seu Recognitiones. Le fameux
Whiston, qui faisait grand cas de ce livre, et qui l'a traduit
du grec, a inséré le passage tout entier dans son
livre intitulé: Astronomical principles of religion.
London, 1725; in-8o, pag. 187. Sur ce livre des Recognitiones,
attribué à saint Clément, disciple de saint
Pierre, écrit dans le IIe siècle, et
interpolé dans le IIIe, voy. Joh. Millii Prolegomena
in N.T. graecum; in-fol., pag. 277, no 1, et l'ouvrage de
Rufin, De adulteratione lib. Origenis, inter opp. Orig.
Bâle, Episcopius, 1771 tom. I, pag. 778; 2 vol. in-fol.
Il est plus que probable que Kepler n'aurait jamais pensé
à la fameuse règle qui l'immortalise, si elle
n'était sortie comme d'elle-même de son
système harmonique des cieux, fondé... sur je ne
sais quelles perfections pythagoriques des nombres, des figures
et consonances; système mystérieux, dont il
s'occupa dès sa première jeunesse jusqu'à
la fin de ses jours, auquel il rapporta tous ces travaux, qui en
fut l'âme, et qui nous a valu la plus grande partie de ses
observations et de ses écrits. (Mairan, Dissert. sur
la glace, Paris, 1749; in-12, préf., pag. 11.)
« La réunion des rayons du soleil augmente la
chaleur, comme le prouvent les verres brûlants, qui
sont plus minces dans le milieu que vers les bords, à
la différence des verres de lunettes, comme je le
crois. Pour s'en servir, on place d'abord le verre
brûlant, autant que je me rappelle, entre le soleil
et le corps qu'on veut enflammer; ensuite on
l'élève vers le soleil, ce qui rend l'angle du
cône plus aigu; mais je suis persuadé que, s'il
avait d'abord été placé à la
distance où on le portait ensuite après l'avoir
élevé, il n'aurait plus eu la même force, et
cependant l'angle n'aurait pas été moins
aigu. » (Ibid., Inquisitio legitima de calore et
frigore, tom. II, pag. 181.) Ailleurs il y revient, et il
nous dit: « Que si l'on place d'abord un miroir ardent
à la distance, par exemple, d'une palme, il ne
brûle point autant que si, après l'avoir
placé à une distance moindre de moitié, on
le retirait lentement et graduellement à la
première distance. Le cône cependant et la
convergence sont les mêmes; mais c'est le mouvement qui
augmente la chaleur. » (Ibid., tom. VIII; Nov.
org., lib. II, no 28, pag. 101.) Il n'y a rien
au-delà. C'est dans ce genre le point culminant de
l'ignorance.
Non seulement je n'ai pas lu, mais je n'ai pu me procurer le
livre de Guillaume Gilbert, dont Bacon parle si souvent (Commentarii
de magnete). Je puis cependant y suppléer de
manière suffisante pour mon objet, en citant le passage
suivant de la physique de Gassendi, abrégée par
Bernier, in-12, tom. I, ch. XVI, pag. 170-171: « Je suis
persuadé que la terre... n'est autre chose qu'un grand
aimant, et que l'aimant... n'est autre chose qu'une petite terre
qui provient de la véritable et légitime substance
de la terre. Si, après avoir observé qu'un rejeton
qu'on a planté pousse des racines, qu'il germe, qu'il
jette des branches, etc. ..., on ne fait aucune
difficulté d'assurer que ce rejeton a été
retranché de l'olivier (par exemple) ou de la
véritable substance de l'olivier; de même aussi,
après avoir mis un aimant en équilibre et ayant
observé que non seulement il a des pôles, un axe,
un équateur, des parallèles, des méridiens
et toutes les autres choses qu'a le corps même de la
terre; mais aussi qu'il apporte une conformation avec la terre
même, en tournant ses pôles vers les pôles de
la terre et ses autres parties vers les parties semblables de la
terre, pourquoi ne peut-on pas assurer que l'aimant a
été retranché de la terre ou de la
véritable substance de la terre? »
Je trouve dans mes papiers l'observation suivante qui vient fort
à l'appui de cette thèse. Je la tirai jadis d'un
précis anonyme sur le docteur Cheyne, médecin
anglais, inséré dans le 10e vol. du Magasin
européen, pour l'année 1791, novembre, pag.
356.
« Il faut le dire à la gloire des professeurs en
médecine, les plus grands inventeurs dans cette science
et les praticiens les plus célèbres ne furent pas
moins renommés par leur piété que par
l'étendue de leurs connaissances; et véritablement
on ne doit point s'étonner que des hommes appelés
par leur profession à scruter les secrets les plus
cachés de la nature, soient les hommes les plus
pénétrés de la sagesse et de la
bonté de son auteur... Cette science a peut-être
produit en Angleterre une plus grande constellation
d'hommes fameux par le génie, l'esprit et la science,
qu'aucune autre branche de nos connaissances. »
Citons encore l'illustre Morgagni. Il répétait
souvent que ses connaissances en médecine et en
anatomie savaient mis sa foi à l'abri même de la
tentation. Il s'écriait un jour: Oh! si je pouvais
aimer ce grand Dieu comme je le connais! (Voy. Elogio del
dottore Giambattista Morgagni, Efemeridi di Roma, 13 giugno
1772, no 24.)
Le mot de siècle ne doit point être pris ici
au pied de la lettre; car l'ère moderne de l'invention,
dans les sciences mathématiques, s'étend depuis le
triumvirat de Cavalieri, du P. Grégoire de saint Vincent
et de Viette, à la fin du XVIe siècle,
jusqu'à Jacques et Jean Bernoulli, au commencement du
XVIIIe; et il est très vrai que cette époque fut
celle de la foi et des factions religieuses. Un homme de
ce dernier siècle, qui paraît n'avoir eu aucun
égal pour la variété et l'étendue
des connaissances et des talents dégagés de tout
alliage nuisible, le P. Boscowich, croyait en 1755, non
seulement qu'on ne pouvait rien opposer alors aux géants
de l'époque qui venait de finir, mais que toutes les
sciences étaient sur le point de rétrograder, et
il le prouvait par une jolie courbe. (Voy. Rog. Jos. Boscowich,
S.J. Vaticinium quoddum geometricum, in Supplem. ad
Bened. Stay, philos. recent. versibus traditam. Romae,
Palearini, 1755; in-8o tom. I, pag. 408.) Il ne m'appartient
point de prononcer sur ces Récréations
mathématiques; mais je crois qu'en
général, et en tenant compte de quelques
exceptions qui peuvent aisément être
ramenées à la règle, l'étroite
alliance du génie religieux et du génie inventeur
demeurera toujours démontrée pour tout bon esprit.
« Cet excès de la longueur des barreaux sur la
largeur doit être exprimé, au moins, par le
nombre 10 élevé à la 27e puissance. Quant
à la largeur, elle est constamment la même, et sans
exception quelconque, et plus petite qu'un pouce d'une
quantité qui est 10 élevé à la 13e
puissance. » Ici il n'y a ni plus, ni moins, ni à
peu près; le compte est rond.
Aristophane, dans sa comédie des Oiseaux, fait
allusion à cette tradition antique:
##Outos de (eros) khaei pteroenti migeis nukhio kata tartaron eurun
Eneotteuse henos emeteron, kai proton anegagen es phos.
Proteron d'ouk en genos athanaton...
Ille, vero alatus mistus chao et caliginoso, in tartaro ingente
Edidit nostrum genus, et primum eduxit in lucem:
Neque enim deorom genus ante erat...
(Aristoph., Aves, V, 699, 702.)
Ibid. pag. 23. Il appelle quelque part Lucrèce son
maître dans la physique. Il ne doute pas d'avoir
trouvé la solution du plus grand problème que
les physiciens se soient jamais proposé, et que la
plupart d'entre eux avaient toujours regardé, ou comme
absolument insoluble en soi, ou comme inaccessible à
l'esprit humain, pag. 244. Cependant il se garde bien de se
livrer à l'orgueil: Il n'a eu de plus que les autres
hommes que le bonheur d'avoir été mené,
encore écolier, à la bonne source, et d'y
avoir puisé. (Page 150.) Et pour faire honneur
à son maître, il dit en annonçant la mort
d'un Écossais de ses amis: Que le pauvre homme s'en
est allé QUO NON NATA JACENT. (Page 290.) Personne au
moins ne saurait lui disputer le mérite de la
clarté.
Je crus devoir chercher et placer ici la narration où
sainte Thérèse décrit de cet état
extraordinaire:
« Dans le ravissement, dit-elle, on ne peut presque
jamais y résister... Il arrive souvent sans que nous y
pensions... avec une impétuosité si prompte et si
forte, que nous voyons et sentons tout d'un coup élever
la nuée dans laquelle le divin aigle nous cache sous
l'ombre de ses ailes... Je résistais quelquefois un peu,
mais je me trouvais après si lasse et si fatiguée,
qu'il me semblait que j'avais le corps tout brisé...
C'est un combat qu'on entreprendrait contre un très
puissant géant... En d'autres temps, il m'était
impossible de résister à un mouvement si violent:
Je me sentais enlever l'âme et la tête et ensuite
tout le corps, en sorte qu'il ne touchait plus à la
terre. Une chose aussi extraordinaire m'étant
arrivée un jour que j'étais à genoux au
choeur, au milieu de toutes les religieuses, prête
à communier, j'usai du droit que me donnait ma
qualité de supérieure pour leur défendre
d'en parler. Une autre fois, etc. »
(OEuvres et vie de sainte Thérèse,
écrite par elle-même et par l'ordre de ses
supérieurs. Traduction d'Arnaud d'Andilly, Paris,
1680; in-fol., cap. XX, pag. 104.) Voy. encore les
Vies des Saints, trad. de l'anglais de Butler; 12 vol.
in-8o. - Vie de saint Thomas, tom. II, pag. 572. - De
saint Philippe de Néri, tom. IV, note D, pag. 541, seqq.
- Vie de saint François Xavier, par le P.
Bouhours. - Prediche di Francesco Masotti, della compagnia di
Gesù. Venezia, 1769, pag. 330, etc., etc.
- Retour au dixième
entretien.
- Sommaire des Soirées de
Saint-Pétersbourg, par le comte Joseph de Maistre.
Denis Constales - dcons@world.std.com
- http://world.std.com/~dcons/